Expansion. Des membres de Walden Six, en construction à 100 kilomètres de là, arrivent en camion pour la visite du dimanche. Walden Two est devenue trop populeuse et se prépare à se scinder par fonction au printemps. On ne séparera pas les époux ni les parents et jeunes enfants, mais autrement, on séparera les familles autant que possible pour prévenir la consanguinité.
Cette arrivée donne lieu à un rassemblement exceptionnel des membres qui suivent avec énormément d’intérêt l’évolution des travaux. La formule Walden avec des membres touchent-à-tout et liés par la communauté plus que la famille se prêtera au nomadisme quand suffisamment de communautés existeront. En se divisant à tous les deux ans, il y aurait une soixantaine de communauté dans dix ans (note 1). Dans 30, tout le pays pourrait être plusieurs fois en communautés. Le rythme de multiplication à adopter est une question expérimentale. Il ne faut pas recruter trop vite pour ne pas créer de problèmes d’intégration. À cette fin, un Bureau de l’information a été créé pour contrôler en quelque sorte l’immigration.
Walden Three, Four et Five sont connues mais des entreprises indépendantes. Rien n’enpêche personne de partir une Walden numéro quelconque, il n’y a pas de marque de commerce, sauf que l’entreprise nécessite tellement d’informations techniques et d’habiletés de toute nature que l’aventure devient impossible pour un seul homme. Avec l’avancement des sciences du comportement, de moins en moins de choses sont laissées au jugement personnel. En prévision de sa première fission, Walden Two se prépare à perdre trois planificateurs et entraîne de nouveaux assistants-gérants. Ça exige beaucoup de formation et d’exercises.
Mieux que la démocratie. La multiplication des communautés pourrait signifier une augmentation du prix des terrains nécessaires à leur réalisation. Si pour une nouvelle, la communauté mère achète la moitié des fermes d’un territoire, elle prend pratiquement le contrôle économique du coin. Ça pose pour Castle un problème de monopole, de contrôle par la force du nombre de l’organisation démocratique du territoire, de la gestion de ses taxes, de son embauche, de ses écoles. Les personnes opposées pour diverses raisons auront beau protester, elles seront minoritaires et soumises à la dictature de la majorité. Pour Frazier ça prouve une faiblesse du système démocratique. Ce pseudo-despotisme ne constitue qu’une étape temporaire sur le chemin d’une meilleure forme de gouvernement ou le bien commun ne sera pas qu’une intention mais une réalité semblable à celle visible à Walden Two.
Castle crie au facisme: les planificateurs et les gérants disposent d’un pouvoir de contrôle auquel les autres membres sont soumis ce qui en fait une élite. Frazier expose calmement que ce privilège est nécessaire pour l’accomplissement de leurs fonctions. Il ne leur apporte pas de revenus supérieurs mais une tâche plus lourde, voir à ce que les choses soient réalisées, difficilement un privilège de classe. Ils doivent voir à ce que le travail soit intéressant, il ne peuvent pas forcer quelqu’un à obéir. Leur mandat complété, ils redeviennent simples membres.
Castle invoque une autre caractéristique des communautés qui ont réussies dans le passé, la soumission des membres à un chef dominant par son autorité, sa renommée ou son emprise interpersonnelle. Walden Two serait l’affaire d’un seul homme, Frazier. Celui-ci ne nie pas qu’il a effectivement donné la première poussée mais maintenant, il n’a plus à pousser, la communauté roule d’elle même. Personne ne le salue à la Hitler, on ne lui a pas fait de statue, on ne trouve pas d’équivalent à Mein Kampf à la bibliothèque. La communauté ne fait pas de héros comme les sociétés ont fait avec Lenine, Hitler, Mussolini, Churchill, Roosevelt, Staline; elle a donné lieu à une culture où ils ne sont pas invoqués.
Le rôle d’un élu en démocratie est de suppléer à l’absence d’une science de la gouvernance. Les électeurs lui accorde leur confiance dans l’espoir qu’il ne se servira pas du pouvoir délégué à son avantage et qu’il utilisera sa sagesse dans l’exécution de ses fonctions. Le rôle du héros est de même nature, il se sert de sa tête et de son coeur là où la science manque. Il sert aussi à d’autres pour accumuler du pouvoir. Plusieurs états n’existeraient pas sans leur intermédiaire mais ils deviennent un jour inutiles, obsolètes. Les héros sportifs ou autres, dont on vente les triomphes ne sont pas des modèles à imiter dans un monde de coopération plutôt que de compétition où les seules victoires que l’on recherche le sont sur la nature ou soi-même.
Sans histoire. L’histoire n’est pas enseignée aux jeunes à Walden Two, elle n’y est pas vue comme un répertoire de héros ni comme une mise en perspectives d’événements marquants. Elle ne retient que les faits qui sont les plus faciles à se rappeler. Le héros est le truc que l’historien a retenu de monsieur tout le monde parce qu’il ne dispose pas du vocabulaire ou des techniques pour parler des vraies affaires: les opinions, les émotions, les attitudes; les désirs, les plans, les schèmes; les habitudes des hommes. L’histoire sert à motiver, non à comprendre. Comme alternative, les jeunes sont invités à saisir le présent, la seule chose qui puisse s’aborder d’une façon scientifique.
Abnégation. Dominer n’est motivant que dans un monde compétitif; dans une communauté de coopérants il se trouve d’autres motifs tout aussi puissants et mieux adaptés à une structure sociale plus fructueuse. Frazier s’estime un génie de ce deuxième monde, humblement. À sa mort il souhaite qu’il ne reste de lui que quelques cendres. Ça lui semble essentiel pour le succès des autres Waldens. Personne n’a encore réaliser cela avant. Le concept de Walden Two par contre restera et c’est ça qui est important pour lui.
Note 1. Dans le roman, nous sommes en 1945; en 1946 il y aura deux communautés, Two et Six. Selon le délai de fission envisagé par Frazier, en 1947 il y en aura trois et en 1948 quatre, disons Seven et Height respectivement. En 1949, Two et Seven ajouteront deux communautés, 9 et 10 et en 1950 Six et Height feront de même, 11 et 12. Nous en sommes à 8. À tous les 2 ans, le nombre de communautés double. Ça donne pour :
1946 2
1948 4
1950 8
1952 16
1954 32
1956 64
1958 128
1960 256
1962 512
1964 1 024
1966 2 048
1968 4 096
1970 8 192
1972 16 384
1974 32 768
1976 65 536
1978 131 072
1980 262 144
En 1945, la population des États-Unis était de 140 millions d’habitants. En 1975, 30 ans plus tard elle se montait à 215 millions. À 1 000 personnes par Walden, les 65 536 Waldens ne compte que 65 millions d’Étatsuniens en 1976. Frazier avait légèrement sous-estimé en avançant 30 ans, il en fallait 35.
Si le délai de fission avait été de cinq ans, l’accroissement du nombre de communauté aurait été le suivant :
1946 2
1951 4
1956 8
1961 16
1966 32
1971 64
1976 128
1981 256
1986 512
1991 1 024
1996 2 048
2001 4 096
2006 8 192
2011 16 384
Où en seraient-elles, que seraient-elles, où seraient-elles ? Pas plus difficile à imaginer que Lost, The Closer ou Les Boys. Avant de m’y mettre j’ai lu ce texte de Marc Richelle intitulé Walden 2 à 50 ans. Il focalise sur 7 thèmes : la fracture entre la classe politique et le peuple, la pression à la consommation et au non-gaspillage, le chômage, les loisirs et la culture, les médias, l’émancipation de la femme, l’éducation.
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