Électeurs, Électrices, … élection

La surprise avec Walden Two, c’est que c’est une utopie qui a lieu maintenant, en plein 20e siècle. Les utopies célèbres, par définition, n’ont pas de lieu réel et prennent temps dans le futur ou le passé. Ici, la Bonne vie existe. Elle est l’initiative d’un comité d’action non-politique et non d’une intervention politique ou révolutionnaire. Le gouvernement, c’est le recours à la force et l’on n’arrive pas au bonheur permanent par la force ou la menace de la force. Un gouvernement ne peut pas expérimenter, il doit avoir raison. Tout ce qui peut être fait pour en améliorer un, c’est d’en mettre un autre à la place. Une science de la gouvernance fondée sur une science du comportement humain et l’expérimentation se faisait attendre.

La communauté doit faire avec les gouvernements en place concernant les taxes, les élections, le service militaire. Elle s’acquitte des premières, vote en bloc pour un même candidat aux deuxièmes et offre une sécurité alternative aux proches des jeunes pendant leur absence et à ces derniers un lieu qui les attend quand le service sera terminé. Par son nombre de votes, la communauté compte pour beaucoup sur le choix des élus. En faisant savoir ses choix, elle exerce directement une influence supplémentaire sur la population environnante. Elle dérange ainsi les forces locales en place et se met sous la possibilité de vengeance mais ses avocats et son gérant des relations publiques veillent au grain.

Walden Two n’est pas une communauté religieuse, à la différence de toutes les communautés raisonnablement permanentes du passé. Elle ne procure pas d’enseignement religieux mais les parents peuvent transmettre leur foi et appréhensions à leurs enfants. Dans ces conditions, la pratique religieuse décline petit à petit comme le tabagisme et la consommation d’alcool.

Comme dans les religions organisées, on se réunit le dimanche pour entendre de la musique ou assister à une représentation poétique, philosophique ou religieuse. Très pratique pour se donner un vocabulaire commun. Cette activité est suivie d’une courte leçon sur l’observance d’un point du Code, généralement sur la maîtrise de soi ou l’arrimage interpersonnel. Pas de rituel, pas de badinage sur Dieu, une simple expérience esthétique et intellectuelle. Au besoin, on publie des dépliants sur la maîtrise de certaines émotions comme la jalousie, l’envie. Ils sont appréciés par les membres des clergés environnant et le gérant des relations publiques leur en fournit à l’occasion.

Pour ce qui est du rapport au pays entier, la communauté a peu de poids et est sans importance dans un scrutin national. Walden Two contribue à sa façon à la paix dans le monde en ne faisant pas la guerre, en n’ayant pas de projet impérialiste, en ne convoitant pas les possessions des autres. Walden Two n’est elle pas une grande expérience sur la structure d’un monde pacifique ? La plupart des membres préfèrent laisser la question de la paix dans le monde aux spécialistes. La paix dans le monde relève d’une science du comportement qui dira qu’est-ce que l’humain veut, comment l’amener à se contenter de ce qu’il a et à se procurer ce qu’il lui faut sans l’enlever à d’autres.

Comment le pays résisterait-il à un envahisseur si tous ces citoyens se mettaient à vivre en petites communautés comme Walden Two ? Où serait son industrie lourde, demande Castle à Frazier. Le pays serait deux ou trois fois plus fort en force physique et intellectuelle et il aurait encore une industrie lourde, répond-il. Il ajoute qu’il ne mise pas sur cette orientation. Il lit des auteurs comme Jésus-Christ et Henry David Thoreau qui enseignent la résistance passive et la désobéissance civile. Les États-Unis ne seraient sans doute pas aussi intéressants pour un agresseur s’ils étaient composés que de communautés comme Walden Two.